A toutes les histoires que je n'ai jamais écrites
Novembre 2017
NaNoWriMo arrangé : une nouvelle par jour pendant un mois
Le vieil écrivain s’approcha avec difficulté de son bureau. Les gestes lents, saccadés, il tira sa chaise et s’y laissa tomber. Il lui fallut quelques minutes de repos pour reprendre son souffle après cette épopée. Enfin, il retrouva une partie de ses forces et tira à lui un vieux cahier racorni et un stylo neuf, seule touche de modernité sur ce bureau poussiéreux.
L’écrivain ouvrit le carnet sur une page blanche, lissa longuement, délicatement, le papier qu’il allait noircir de ses idées et posa la bille du stylo tout en haut à gauche de la page. Sa main tremblait, le stylo peinait à tracer les lettres, mais au fur et à mesure des mots, son écriture se fit plus ferme, plus assurée.
« Bientôt, je vais mourir. Je suis vieux, mon corps fatigue. C’est dans l’ordre des choses. Je l’attends, cette douce amie qui me permettra enfin de me reposer. Un seul détail me chagrine : ne pas avoir fini mes histoires. J’en ai racontées, des aventures ! Des épées, des dragons, de la magie, des extra-terrestres, mais aussi la vie de tous les jours, la vie qu’on voit en vrai. Et pourtant il me reste tant à écrire !
Cette lettre, cet ultime texte, je veux vous le dédier. Oui, à vous, ces histoires abandonnées en cours de route. A vous, ces romans avortés. A vous, ces aventures gâchées. A vous, ces textes à peine entamés. A vous, ces idées écartées sans même vous avoir essayer.
Vous tournoyiez pourtant autour de moi, je n’avais qu’à tendre le stylo pour vous saisir. Mais je n’ai pas su vous raconter. Vous étiez probablement trop difficiles pour moi. Je n’aurais pas été à la hauteur de votre complexité.
Parfois vous n’étiez qu’une phrase, une bribe de mots à peine ordonnée qui s’infiltrait dans mon esprit et s’évaporait aussitôt. Parfois, votre trame était plus construite mais m’effrayait. Parfois je n’ai compris où vous vouliez m’entraîner.
A chaque minute, à chaque seconde de ma longue vie, vous m’avez accompagné, entouré, soutenu. A chaque instant vous étiez là, prêtes à surgir. Mes pages blanches n’ont jamais été dues à votre absence mais à mon incapacité à vous matérialiser.
Je vous voyais presque devant mes yeux, parallèle fantastique de ma vie quotidienne. Je devais parfois vous réfréner, pour m’y plonger plus frénétiquement encore par la suite.
Mes histoires, mes histoires chéries, celles que j’ai écrites, j’espère vous avoir fait honneur. Je tremble aujourd’hui que ça puisse ne pas être le cas. J’ai peur de vous avoir écornées, de vous avoir malmenées.
Et vous, mes histoires non moins aimées, vous les histoires que je n’écrirai jamais, j’espère que vous me pardonnerez. Je vous souhaite tout le meilleur. Vous étiez toutes belles, et je ne peux qu’espérer qu’un jour vous irez hanter quelqu’un capable de vous matérialiser. J’en suis sûr, un jour vous existerez, ailleurs que dans ma tête, ailleurs que sur quelques gribouillis dans un cahier.
Je vous aime, mes chères histoires. Je vous aime et ne vous oublierai jamais. Alors le jour où quelqu’un de plus habile que moi vous écrira, pensez à moi. Soufflez lui l’histoire du vieil écrivain que je suis, dites lui que je n’ai pas su vous rendre hommage.
Adieu mes chères histoires inachevées. Adieu et longue vie. »