Black out
Novembre 2017
NaNoWriMo arrangé : une nouvelle par jour pendant un mois
Ça y est, tu ouvres enfin les yeux. J’ose à peine y croire. Cinq jours et cinq nuits d’angoisse s’envolent instantanément à cette simple vision. Tu es en vie, tu es de retour. Bientôt, tout rentrera dans l’ordre. On reprendra le cours normal de notre vie, toutes les deux. Bientôt, on s’amusera de ce moment. Bientôt, ces cinq jours d’anxiété désespérée ne seront qu’un mauvais souvenir.
Il faut bien être honnête. Jamais je ne pourrai oublier les heures fébriles passées à t’observer, allongée, immobile, le corps relié à des appareils monstrueux. Jamais je n’oublierai cette peur panique de ne pas pouvoir te serrer à nouveau dans mes bras, de ne pas pouvoir t’embrasser encore, de ne plus jamais pouvoir te regarder dans les yeux et te dire combien je t’aime.
Mais toutes ces craintes ont été atténuées par le bonheur intense de voir tes paupières se lever. Tu es là, éblouie par la lumière artificielle. Tu es là et plus rien ne compte à présent. Seulement toi, moi, nous deux ensembles au delà de cette épreuve.
Tu me regardes. Ils sont si beaux, tes yeux, si clairs. Ils m’avaient tant manqué. Comment ai-je pu vivre sans voir la pureté de tes yeux, sans même savoir si je les reverrai un jour ? Tu es belle, tu sais. Oui, même ainsi, encore couverte de tuyaux. Même ainsi, avec uniquement tes grands yeux clairs qui dépassent des bandages. Je devine sous les pansements chaque détail, chaque grain de beauté. Ils sont là, et bientôt je pourrai à nouveau les embrasser.
Je reste assise sur ma chaise, au pied du lit. Je me retiens. Je ne veux pas te brusquer. L’accident a été violent. Le choc a été rude. Tu dois prendre le temps de retrouver tes marques. Je dois te laisser reprendre tes esprits. J’ai pourtant tellement envie de me jeter contre toi, de te serrer contre moi. Que tu me promettes que tout ira bien à présent. Que plus jamais je ne vivrai ces instants. Que tu resteras avec moi pour toujours, que l’on va se marier, s’aimer, ne plus jamais s’abandonner.
Non, je dois te laisser le temps. Je m’imagine face à toi, si stupide avec mon sourire béat. Tu dois te moquer de moi, toi qui n’as aucune idée de ce que je viens d’endurer. Et pourtant non, ton regard passe. Tes si beaux yeux glissent sur moi dans la plus totale indifférence. Ça fait mal. Beaucoup trop mal. Je t’ai veillée, je t’ai attendue, je t’ai espérée. Je dois être la première que tu vois. Allez, regarde moi !
Tes yeux papillonnent. Tu regardes autour de toi. Tu ne comprends pas. C’est normal. Je dois être patiente. Tu ne sais pas encore ce qu’il t’est arrivé. Tu cherches un appui, quelque chose qui te renseignerait. Je voudrais te parler. Juste dire ton nom, pour t’aider. Mais je n’y arrive pas, j’ai la gorge encore serrée de ce trop plein d’émotions contradictoires.
Tout est blanc autour de toi. Une chambre d’hôpital aseptisée. Silencieuse, si ce n’est le bruit délicieusement régulier des machines autour de toi. Je suis la seule couleur dans ce désert. La seule à pouvoir capter ton attention. Alors tu me regardes à nouveau. Longuement. Tu me détailles. Méticuleusement. Et ce que je vois dans tes yeux, dans tes yeux adorés, m’arrache le cœur. Ton regard est absent. Pas de flamme, pas de passion. Tu me regardes comme une étrangère.
Peu à peu quelque chose s’allume. Est-ce que tu as enfin les idées plus claires ? Espoir fou bien vite brisé. Ce qu’il y a dans tes yeux, ce n’est rien de plus que de la curiosité. Tu te demandes ce que je fais là, assise face à toi, tendue, prête à m’approcher de toi au moindre geste.
Tu ouvres la bouche. Je sais ce que tu vas dire. Et je ne veux pas, surtout pas l’entendre. Pour le moment, j’ai encore une chance. Une chance minime que tout cela ne soit que le fruit de mon imagination. Mais si tu me parles, si tu me poses cette question, tout sera perdu. Mon univers s’éteindra à jamais avec tes souvenirs envolés. C’est toi mon cap. C'est pour toi que j’ai enduré ces cinq derniers jours. Alors, je t’en supplie, ne parle pas. Ne détruis pas les derniers vestiges de la vie normale, de notre vie d’avant.
Evidemment, tu n’entends pas mes suppliques muettes. Tu cherches à comprendre, à savoir. Tu as toujours aimé tout savoir. Tu parles donc. Ta voix est rauque, c’est celle de quelqu’un qui n’a pas prononcé un mot depuis des jours. Et pourtant, ta voix est toujours aussi douce, aussi belle. Elle me donne envie de m’y blottir pour toujours. Mais aujourd’hui, si entendre ta voix m’enchante, tes mots m’entaillent, me poignardent. Une blessure impossible à cicatriser. Une déchirure qui ne se refermera jamais.
- Qui êtes-vous ?
Le monde autour de moi devient noir.