Et la guerre fut
Février 2018
Texte écrit pour un concours de nouvelles. Thème libre
Nous étions des milliards. Une foule immense et anonyme, répartis sur les quatre coins de notre planète. Nous occupions toute la surface du globe et nous avons évolué, chacun s’adaptant à son milieu. On aurait pu désigné n’importe lequel d’entre eux. Mais c’est tombé sur moi. Moi qui doit parlementer avec cette race étrange et inconnue. Moi qui détient l’avenir de notre planète.
La guerre couve depuis des siècles. Nous avions pourtant vécu en bonne harmonie pendant quelques temps. Leur race était apparue un jour, mais ils ne formaient guère plus que des hordes éparses. A cette époque, ils avaient bien trop à faire pour survivre et ne songeaient même pas à empiéter sur notre territoire. Et puis tout a changé. Ils sont devenus violents. Ils nous ont chassés, exterminés. Ils ont réduit nos espaces au strict minimum, et grignotent chaque jour un peu plus sur le peu de terres qu'il nous reste.
Je suis jeune, je n’ai pas connu le monde d’avant. Mais la mémoire reste vive, elle se transmet de générations en générations. Les anciens nous racontent les histoires de quand nous dominions le monde, des histoires que leurs propres anciens leur ont transmises. Aujourd’hui, alors que nous luttons pour notre survie, ces légendes ont un goût de paradis inaccessible. Mais nous ne nous laisserons plus faire. Nous allons reprendre en main notre destin. Des siècles de tyrannie vont enfin s’effondrer.
Je suis la dernière chance avant la guerre. Le dernier émissaire de paix. Si cette espèce refuse de revenir à la raison, nous passerons à l’attaque. Nous sommes plus nombreux, plus organisés, et surtout nous sommes déterminés, soudés par un but commun. Nous les écraserons, une bonne fois pour toute. Leur comportement destructeur cessera enfin et notre communauté sera sauvée.
Je me faufile dans l’antre de l’un d’entre eux. Je connais déjà ce territoire ennemi, j’ai des solutions de repli en cas d’échec de la mission. Pour autant, je dois être discret. Je progresse avec lenteur, délicatesse. Je ne veux pas qu’on remarque ma présence trop tôt.
Et puis, pour ne rien cacher, je meurs de peur. L’excitation de la mission a laissé sa place à une panique difficilement contrôlable. Je ne les ai jamais rencontrer en vrai. J’en ai aperçu de loin, plusieurs fois, mais jamais je ne me suis risqué à les approcher. Peu ont survécu à de telles rencontres.
Je me reprends aussitôt. Du nerf ! C’est la planète entière qui compte sur moi ! Ce n’est pas le moment de flancher. De toute manière, pour le moment il fait nuit noire. L’obscurité sera ma meilleurs alliée. J’avance à découvert, au beau milieu du territoire ennemi. Je dois faire vite, l’environnement est nocif et truffé de pièges. J’entends un bruit. Un bruit immense, qui fait trembler chaque partie de mon corps. Je redresse la tête. L’antre semble déjà incroyablement haute mais les grondements viennent d’encore au-dessus. Sur ma gauche, une sorte de petite butte s’élève et se perd dans les hauteurs.
C’est là-haut que doit se trouver l’être. Je m’arme de courage, je réunis mes force, et je me lance dans l’ascension. Certaines parois sont totalement à la verticale, mais ça ne me fait pas peur. Je m’accroche, je persévère. Ces montées difficiles sont suivis de terrains plats qui me permettent de souffler quelques instants.
Soudain, le bruit s’accentue. Ce n’est plus uniquement mon corps qui tremble, mais la montagne entière. Le bruit n’est pas continu, chaque coup est régulier. Et surtout, chaque coup est un peu plus fort. Soudain, je l’aperçois. C’est lui, juste devant moi. Malgré la pénombre, je vois se découper sa silhouette, et je tremble un peu plus encore. Je me doutais qu’ils étaient grands, mais je ne m’attendais pas à de tels géants. Brutalement, il s’arrête. De son immense orifice buccal sortent des sons graves et incompréhensibles. Il me saisit, me bouscule, me jette brutalement à l’extérieur. Je me sauve aussi vite que possible. Les tractations ont échoué. La guerre va commencer.
Quand Emile, garde forestier, se leva cette nuit-là, il remarqua un ver de terre sur les marches de son escalier. « Qu’est-ce que tu fais là, mon bonhomme ? » Avec délicatesse, il le saisit et le transporta jusqu’à la fenêtre pour le déposer dans son jardin. « Allez, va. Tu seras mieux dehors mon grand ! »
Quelques semaines plus tard, les médias du monde entier évoquaient les solutions envisagées pour lutter contre la plus grande invasion de lombrics jamais rencontrée.