Les yeux jaunes
Novembre 2017
NaNoWriMo arrangé : une nouvelle par jour pendant un mois
Ce texte vous paraitra peut-être un peu mièvre par rapport à ce que j’écris d’habitude. Alors si par hasard il y a des lecteurs autre que ma famille qui passent par là, une petite explication s’impose. Cette histoire est inspirée d’un souvenir lointain de lecture. J’ai lu ce livre quand j’avais sept ans, mais je n’ai jamais pu aller au bout. Ça me faisait bien trop peur. Je ne connais donc pas la fin je malgré toutes mes recherches jamais je n’ai retrouvé ce livre. Pendant des années je n’ai pas pu dormir face à une fenêtre de peur d’y voir des yeux jaunes. Encore aujourd'hui, 18 ans plus tard, j’ai toujours des frissons quand je pense à cette histoire. Alors je me suis dit que j’allais lui créer une fin. Une fin qui ne fait pas peur, et qui peut-être pourra me faire oublier ce livre. Ou en tout cas, me le rendre moins effrayant. Une fin qui remplacera celle que je n’ai jamais réussi à lire.
Aujourd’hui, Max est heureux. Les vacances sont enfin arrivées, et, après quatre interminables heures de voiture, la maison de ses grands-parents apparait. Depuis toujours il aime cet instant. Ce virage, lacet étroit de montagne. Ces arbres denses qui ne laissent rien apercevoir du paysage. Et d’un coup la maison, havre de bonheur estival.
C’est à peine s’il salue son père, qui repart directement. Il y a de la route, il ne peut pas rester, non non vraiment il travaille dès le lendemain. Pour Max, peu importe. Mamie l’a déjà entrainé dans la cuisine et l’a installé devant une belle assiette de cookies. Papi lui promet que dès demain, ils feraient ensemble de longues randonnées dans la montagne. Il a découvert une grotte il y a quelques semaines, et depuis, il rêve de la montrer à Max. Il en est certain, son petit fils va adorer l’endroit !
Il est déjà tard. Max est fatigué par route, et Mamie lui ordonne de se coucher tôt s’il veut partir crapahuter demain avec Papi. Max retrouve sa chambre habituelle, la même depuis dix ans. Le papier peint marron est passé par endroits, la couverture bien bordée gratte un peu, le volet ne ferme toujours pas, mais il s’en fiche. C’est sa chambre, et il ne veut la changer pour rien au monde. Il y dort bien, il y est heureux, plus encore que chez lui, en ville.
Pourtant, cette nuit-là, Max se réveille. En levant les yeux vers la fenêtre, il sent son coeur s’arrêter. Deux yeux jaunes l’observent. Deux énormes yeux d’un jaune brillant, qui surmontent un petit nuage de buée. Max hurle, Papi se précipite. Les yeux jaunes ont disparu, mais la buée est toujours là. Il n’a pas rêvé. Papi sort dans le jardin, mais il fait trop nuit, il ne voit rien. Pour la première fois cette nuit-là, Max quitte sa chambre. Il préfère dormir roulé en boule sur le canapé, bien en sécurité derrière des volets fermés.
Dès le lendemain, Max et Papi font le tour du jardin. Dans la terre meuble, des empreintes sont dessinées. De grosses empreintes, que Papi reconnait tout de suite. C’est l’ours. Les empreintes retournent vers la montagne. Avec un peu de chance, l’ours ne reviendra pas de sitôt. Mais la journée est gâchée. Max a peur de partir randonner, il préfère rester à la maison pendant que Papi part explorer les environs.
Lorsque la nuit tombe à nouveau, Max redoute de retrouver dans sa chambre. Il accepte tout de même, à contre coeur, mais ne ferme pas les yeux tout de suite. Il fixe la fenêtre au volet cassé, celle où l’ours est apparu. Pendant plusieurs heures, la nuit est calme, rien a signaler. Max commence même à somnoler, rassuré. Mais un peu après minuit, ils sont de retour. Les yeux jaunes et la buée sur la vitre. Cette fois-ci, Papi prend son fusil de chasse et court dans le jardin. Il n’a que le temps de voir l’ours s’enfuir au loin.
Max est terrorisé. Il ne sait pas s’il réussira à passer le mois entier dans ces conditions. Il veut déjà qu’on rappelle son papa, il veut rentrer. La situation ne peut plus durer. Papi prend son fusil et suit les traces. Max insiste, il veut l’accompagner. Il veut voir en vrai, en plein jour, cet ours qui l’empêche de dormir.
Les traces s’éloignent dans la forêt, là où pente est plus raide. Mais Max et Papi sont déterminés. Ils trouvent la caverne de l’ours. Il est là, devant. On dirait qu’il les attend. Il grogne, se rapproche, menaçant. Max tremble, mais Papi ne faiblit pas. Il épaule son fusil et tire. En plein dans le mille. L’ours tombe, la balle fichée dans le coeur.
Certes, l’ours était méchant, certes, l’ours lui faisait peur, mais Max ne peut pas le laisser comme ça, en pleine forêt. Ça ne se fait pas. Et maintenant que l’animal est immobile par terre, Max le trouve beau. La fourrure a l’air douce. Il a l’air fort et majestueux. Il a un petit peu honte de le voir mort. Alors il insiste, et Papi finit par céder. Ensemble, avec beaucoup d’efforts, ils poussent le cadavre de l’ours. Heureusement, Papi habite en bas de la pente, ça aide un peu. Dès qu’elle les aperçoit, Mamie vient à leur secours, et, tous les trois, ils creusent une belle tombe à l’ours. Un grand trou où ils poussent l’animal qu’ils recouvrent de terre. Et pour se faire pardonner, Max cueille un joli bouquet qu’il pose sur le dessus.
Le soir, quand il part se coucher, Max a le coeur léger. Il a toujours honte d’avoir obligé Papi à tuer le bel ours, mais il sait que cette fois-ci, il pourra dormir en paix. Pourtant, quand il se couche et regarde la fenêtre, une légère crainte l’envahit. A nouveau, le sommeil tarde à venir. A nouveau, son regard reste rivé à la vitre. Et à nouveau, au milieu de la nuit, les yeux jaunes de l’ours et la buée de son souffle apparaissent.
Cette fois-ci, Max a trop peur pour crier. Il ne peut que se cacher sous sa couette et pleurer, pleurer tant qu’il le peut. Il ne veut pas en parler à Papi et Mamie. Ils ont enterré l’ours ensemble. Ils ne vont pas le croire. Lui-même espère avoir rêvé. Mais le lendemain, sous sa fenêtre, les empreintes sont bien là. Plus petites, moins profondes, mais reconnaissables tout de même. Max court vers la tombe. Elle n’a pas bougé, même le bouquet est encore là. Alors, est-ce que c’est un fantôme qui est venu lui rendre visite ? Est-ce que c’est l’ours qui veut se venger ?
Max veut en avoir le coeur net. La maison de ses grands-parents est l’endroit le plus beau du monde, et il ne veut pas qu’un esprit vienne le troubler. Alors, tout tremblant, il décide que cette nuit, il découvrira la vérité. Il dit bonsoir à Papi et Mamie, comme d’habitude. il rentre dans sa chambre et éteint la lumière. Il attend un peu, et, quand il est sûr que tout le monde le croit endormi, il ressort. Il marche tout doucement, sans bruit. Il ouvre la porte centimètre par centimètre pour ne pas qu’elle grince. Il prend son pull accroché au porte-manteau et va se poster devant sa fenêtre, la seule de la maison qui donne sur la montagne.
Au début, il ne se passe rien. Puis peu à peu le jardin s’anime. Une petite forme sort du bois, s’approche de la tombe de l’ours, grogne, marche dans le jardin. La petite forme longe la maison, et se dresse sur ses deux pattes pour regarder par la fenêtre. Quand elle se retourne vers Max, l’enfant voit ses yeux jaunes et brillants. L’ours était une femelle. Et es yeux jaunes qu’il avait aperçu la nuit dernière, c’était l’ourson à la recherche de sa maman.
Le bébé se méfie, mais finit par s’approcher. Max tremble un peu, il essaye de ne pas le montrer. L’ourson gronde, il cherche quelque chose. Max comprend : sans sa maman, il doit avoir si faim ! Lentement, sans gestes brusques, il retourne dans la maison. Il ne sait pas quoi donner à un ourson, donc il prend tout ce qui lui tombe sous la main : du lait, des fruits, de la viande…
Dehors, l’ourson se méfie. Il n’ose pas s’approcher de la nourriture, mais ses yeux jaunes brillent d’envie. Alors pour le laisser tranquille, Max retourne se coucher. Il le sait maintenant, les yeux jaunes ne lui feront plus jamais peur. Tous les soirs, avant de s’endormir, il pose quelque chose à manger sur le rebord de la fenêtre. Tous les soirs, les yeux jaunes et la tâche de buée apparaissent. Tous les matins, la nourriture a disparu.
A la fin des vacances, Max s’inquiète. Son ourson pourra-t-il se débrouiller sans lui ? Il décide de révéler son secret, et heureusement, Papi et Mamie le croient. Ils lui promettent de nourrir l’ourson, jusqu’à ce que Max puisse revenir le faire lui-même. En partant, Max a le coeur gros. Il aimerait que l’été dure toujours.. Heureusement, les prochaines vacances seront exceptionnelles : il retrouvera ses grands-parents, leur maison, et surtout un ami.