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Olivier

Novembre 2017

NaNoWriMo arrangé : une nouvelle par jour pendant un mois

2017, île de la Réunion

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Maud creva à nouveau la surface. Aussitôt, deux hommes l’aidèrent à se hisser sur la navette et à la débarrasser de son attirail. Elle ouvrit le haut de sa combinaison de plongée, respira profondément l’air marin avant de se retourner vers ses acolytes.

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- Toujours rien.

 

Un soupir de déception secoua les trois chercheurs. Ils y croyaient, à cet emplacement. Ils avaient tout étudié, tout recoupé. Loïc osa poser la question qui taraudait les deux hommes.

 

- Mais tu es sure de toi ? Peut-être que l’entrée était cachée, peut-être que tu ne l’as pas vue, peut-être que tu n’as pas tout regardé…

 

Maud jeta un regard noir à son interlocuteur.

 

- Je viens de passer une demi heure là-dessus à palper le moindre centimètre de roche. Il n’y a pas de grotte ici.

 

Sa voix était tranchante et sans appel. Loïc voulut renchérir, mais un geste de Pierre l’en dissuada. Son collègue avait raison. Maud venait d’enchaîner les plongées, il ne servait à rien d’insister. Ils n’avaient plus qu’à rejoindre le port et recommencer leurs calculs. Encore.

Le retour jusqu’au port se fit dans une ambiance morne. Les trois chercheurs étaient retranchés dans leurs pensées. La grotte aurait dû être là. Ils auraient dû y entrer. Ils auraient dû arriver victorieux. Au lieu de cela, ils rentraient bredouilles. Au delà de leur ego blessé, ils risquaient voir leurs subventions coupées. L’université de Toulouse commençait à perdre patience devant ces échecs à répétition.

L’île de la Réunion avait beau être un cadre paradisiaque, le petit groupe n’arrivait plus à profiter de l’endroit. De toute manière, ils passaient leurs journées le nez sur des parchemins et des cartes du ciel. Ils recoupaient, croisaient les symboles, dessinaient des plans, sans résultat. 

Ils avaient été les premiers à supposer que la mystérieuse lettre aux symboles ésotériques laissée par La Buse n’était pas un texte. Pour eux, il s’agissait plutôt d’une carte du ciel, qui indiquait l’emplacement du fabuleux trésor du pirate en fonction de la position des étoiles. Enthousiasmée par cette théorie, l’université de Toulouse n’avait pas hésité à monter une expédition. 

Comme à son habitude, Maud ne rentra pas tout de suite au laboratoire. Elle prit la route qu’elle avait tant de fois suivie jusqu’au cimetière marin, parcourut les allées jusqu’à trouver la tombe qu’elle cherchait. Elle relut machinalement l’épitaphe qu’elle connaissait déjà par cœur : « Olivier Levasseur, dit La Buse, pirate des mers du Sud »

 

- Où est-ce que tu l’as caché, ton trésor ?

 

Elle parcourut du bout des doigts la pierre tombale, comme si ce simple contact pouvait répondre à la question qui la taraudait depuis six ans maintenant. Six ans de voyages, d’études, de suppositions, de calculs, d’espoirs, de désillusions. Six ans pour rien. Elle avait espéré être celle qui percerait un des mystères les plus obscures de l’histoire. Et elle commençait à comprendre qu’il lui faudrait probablement renoncer à ce rêve de gosse. La tombe du pirate restait muette. Levasseur refusait, même 300 ans après sa mort, de livrer son secret.

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1720, Madagascar

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Le rhum coulait à flots dans la crique. L’équipage s’était dispersé aux alentours, certains avachis dans les rochers, d’autres assis en rond sur la plage. Le calme habituel de la nuit était brisé par de grands éclats de rires, des cris, des vivats, des exclamations joyeuses. Tous levaient haut leur chope, tous acclamaient avec ferveur leur capitaine.

Celui-ci savait se faire attendre. Encore à bord de son navire, il profitait d’un moment de solitude. Un moment de pause où, enfin, il pouvait prendre conscience de l’audace de son abordage, mais surtout de l’énormité du butin. Attaquer le vice-roi des Indes, il fallait oser ! D’ailleurs, à part lui, La Buse ne connaissait aucun capitaine capable de réussir un coup pareil.

Debout sur la proue, il observait de loin les flammes des feux de camp sur la plage. Il devinait l’ombre de ses matelots qui célébraient leur victoire, il entendait, étouffé par la distance, leurs cris et leurs chants de plus en plus incohérents au fur et à mesure que les tonneaux de rhum se vidaient.

Il se décida enfin à rejoindre ses hommes. Il mit seul une chaloupe à la mer. Tandis qu’il souquait vers la plage, il remarqua combien la ligne de flottaison de son navire était basse. Ses cales étaient à présent pleines à craquer de bijoux, de pierres précieuses, de pièces d’or et d’étoffes raffinées. Il y avait dans le ventre de ce trois mâts bien plus de richesses que lui et tout son équipage ne pourraient en dépenser au cours de leur vie entière.

La Buse était fier. Fier de son navire qui avait tenu bon pendant l’abordage. Fier de son équipage qui s’était battu vaillamment, enhardi par l’appel de l’or. Fier des reflets d’or qu’il avait l’impression de deviner dans l’eau autour de sa coque. Mais surtout fier de lui, d’avoir su mener ce coup, d’avoir su vaincre avec tant d’éclat. Il avait bien mérité sa chope de rhum, lui aussi ! Il allait passer la nuit au milieu de son équipage, à boire, ripailler et danser avec eux autour des flammes.

Le réveil fut rude pour le capitaine. Jamais sa tête ne l’avait tant fait souffrir. Tous les démons de l’océan s’étaient donnés rendez vous sous son crâne pour le punir de ses excès de la veille. Encore allongé dans le sable, le long d’un feu de camp depuis longtemps éteint, il tâtonna autour de lui à la recherche d’un peu d’eau, n’importe quoi qui soulagerait sa bouche pâteuse. Un grand calme régnait autour de lui. Un calme beaucoup trop intense, même si les dizaines d’hommes de son équipage ne s’étaient pas réveillés.

Avec peine, il se redressa sur un coude. Le soleil déjà au zénith l’éblouit et il dut se rallonger dans un grognement. Tout de même taraudé par un pressentiment, il lutta contre les aiguilles de soleil dans ses yeux, contre la lourdeur de sa tête, et ouvrit les paupières. Il n’y avait plus rien. Tout s’était envolé. Equipage, navire, et surtout trésor. Autour de lui, la plage était jonchée de tonneaux d’alcool vides, mais au large, la crique était déserte. 

Après l’incompréhension et le désespoir, ce fut une colère sourde qui se glissa dans les pensées du capitaine trahi. Il en avait conscience, pour le moment, seul sur l’ile de Madagascar il ne pouvait pas se lancer à la poursuite de son ancien trois mâts. Mais il n’abandonnerait pas. Avant tout, il lui fallait reformer un équipage et trouver un autre navire le plus discrètement possible. L’annonce de son coup d’éclat avait déjà fait le tour des mers du Sud et il ne fallait surtout que jamais personne ne sache qu’il s’était fait avoir. Sa réputation, sa carrière, sa vie étaient en jeu. 

Il continuerait à évoquer son fabuleux trésor. Il s’appliquerait à en faire briller les pièces dans les yeux de ses interlocuteurs. Il en parlerait à tous, garderait le mystère, amplifierait le butin, créait le mystère autour de sa prétendue cachette. Il allait faire de son trésor volé l’histoire la plus célèbre de la piraterie !

Dix ans plus tard, la corde autour du coup, La Buse lança son ultime pied de nez à la foule. Il leur confia une lettre indéchiffrable, dont les symboles ésotériques avaient été tracés dans le plus grand des hasards. Qu’ils s’étripent donc à chercher l’emplacement de son fabuleux trésor envolé depuis si longtemps déjà. Le pirate dépouillé rentrait dans la grande histoire. Lorsque la trappe s’ouvrit, lorsque la corde se tendit, Olivier Levasseur, dit La Buse, souriait. Il était vengé.

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