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Opération Adhara

Janvier 2018

Texte écrit pour un concours de nouvelles. Thème : “Planète bleue : celle que les hommes construisent avec leur imaginaire, leur intelligence et leur démesure”

Un voyant rouge s’alluma, suivi d’un blanc, d’un jaune, d’un vert… Bientôt, tout le tableau de commandes se mit à clignoter. Une sirène stridente emplit la base. Karen se réveilla en sursaut, enfila le premier t-shirt à portée de main et sortit de sa cabine. Dans les coursives, plusieurs portes s’ouvrirent simultanément, laissant apparaitre des mines ensommeillées. 

- Qu’est-ce qu’il se passe, capitaine ?

Karen haussa les épaules en jetant un regard à la ronde. Tous les membres de l’expédition partageaient la même perplexité. Elle se précipita vers le poste de commandes, passa la main sur le capteur à reconnaissance digitale, entra le code. La porte resta close. Karen ferma les yeux un instant, tentant de clamer les battements effrénés de son coeur. Elle repositionna sa paume, s’appliqua à presser les chiffres dans l’ordre adéquat. Elle ne chercha même pas à dissimuler son soupir de soulagement lorsque la lourde porte s’effaça enfin. 

Elle se précipita dans la salle de commandes, sentant les chercheurs terrifiés sur ses talons. Karen se figea en découvrant la scène qui l’attendait. Les signaux d’alarme crépitaient en tous sens, les écrans clignotaient et pourtant la salle était entièrement vide. Une équipe aurait dû être aux manettes, prête à lui expliquer le problème ! Furieuse, elle se retourna vers sa suite. 

- Qui était de veille cette nuit ?

 

Bien entendu, ils n’en savaient rien. Ils n’étaient là que pour leurs expériences. Prendre des mesures, ils n’étaient bons à rien d’autre. Surtout pas à répondre à des questions cruciales alors même que leur vie était en jeu. Ils restaient là, bouche bée devant l’ambiance apocalyptique de la pièce. 

 

- Où est Pirz ? hurla Karen à la cantonade. Ne restez pas là, allez le chercher au plus vite ! J’ai besoin de deux personnes à peu près dégourdies pour me seconder en attendant. Les autres, retournez dans vos quartiers et préparez vous à évacuer à tout moment. 

 

- La situation est si grave que ça, capitaine ? s’éleva une voix tremblante de peur. 

 

- C’est ce que je vais essayer de comprendre, répliqua Karen sèchement.

 

Sans vérifier si ses ordres avaient été exécutés, elle prit place dans le siège principal et commença à pianoter sur son écran tactile. La sonnerie stridente s’évanouit enfin. Karen frôla une nouvelle touche et eut un sourire satisfait. Au moins, le haut parleur fonctionnait. 

 

- Ici votre capitaine. A tout le personnel de la mission Adhara, préparez vous à évacuer. Le second Pirz est attendu de toute urgence en salle de contrôle. 

 

A ses côtés, deux hommes attendaient ses ordres. Rast et Usho. Si elle connaissait mal le premier, Karen savait que le deuxième était un homme fiable, qui savait garder son sang froid. Précisément ce dont elle avait besoin. Cela dit, dans l’état actuel des choses, elle-même ne savait pas par où commencer. Elle prit le temps d’assurer sa voix et redonner à son visage son impassibilité légendaire avant de faire face son équipe improvisée. 

 

- Vous savez tous les deux comment gérer un écran de contrôle tactile ? 

 

Ils opinèrent brièvement de la tête. 

 

- Bon, on va commencer par ouvrir le blindage. Gardez un champ de force renforcé sur les vitres, mais on doit savoir ce qu’il se passe dehors. 

 

Usho activa une commande. Tous les trois retinrent leur souffle. Le blindage opaque se rétracta peu à peu pour laisser place à une vaste baie vitrée, dévoilant un panorama à couper le souffle. Même après vingt-cinq ans de mission, Karen ne s’habituait toujours pas au grandiose de ces paysages. La base était perchée au bord d’une haute falaise. Le jour se levait à peine. Les premiers rayons de leur étoile, la géante bleue Adhara, éclaboussaient les reliefs de lueurs azurées. Au plus fort de la luminosité de l’astre, la planète entière prenait cette étrange teinte, rendant chaque pierre, chaque arbre presque irréel. Si elle se concentrait, Karen pouvait percevoir le léger scintillement du vaste dôme qui recouvrait la base et ses environs. Cette prouesse technologie protégeait les membres de la mission des importants rayonnements UV émis par l’étoile ainsi que des températures rapidement insoutenables, tout en régulant la qualité de l’air.

Karen devait bien reconnaître que les scientifiques de sa mission avaient accompli un véritable prodige. Non seulement le dôme était entièrement autonome, mais en plus il s’élargissait. Vingt-cinq ans auparavant, la planète bleutée était entièrement aride, invivable pour l’Homme. Aujourd’hui, le dôme s’étendait sur plus d’un tiers de la surface. Bientôt, de larges vaisseaux emplis de terriens désireux d’aventures pourraient venir peupler ces nouveaux espaces. A condition qu’elle réussisse à régler la situation actuelle. Revenant à la réalité, elle parcourut d’un regard expert les données qui défilaient devant ses yeux. Les capteurs du dôme fonctionnaient, l’air était pur, les sondes ne présageaient aucun tremblement de terre avant des mois. Rien qui ne justifiât l’affolement général des systèmes de sécurité. Soudain, Rast l’interpella. 

 

- Capitaine, venez voir ça. 

 

Karen se précipita derrière son épaule. Le jeune homme observait un plan du dôme. La majorité des signaux colorés signalant les membre de l’équipe s’agglutinaient dans la base, mais quatre autres se trouvaient à une vingtaine de kilomètres de là, à l’observatoire. Pirz et l’équipe de nuit disparue. 

 

- Etablissez le contact radio. 

 

- C’est bon, ils vous entendent. 

 

- Second Pirz, quelle est votre situation ?

 

Karen fut d’emblée surprise par la tension qu’elle entendit dans la réponse de l’homme. Puis elle prit conscience des mots qu’il avait prononcés. 

 

- Capitaine, Adhara va se transformer en supernova. 

 

Karen accusa le choc. Elle savait que les géantes bleues avaient une durée de vie limitée, mais selon les derniers rapports, ils disposaient d’encore au moins huit millions d’années avant la catastrophe. 

 

- Vous êtes absolument certain de ce que vous avancez ?

 

- Affirmatif, capitaine. Nos relevés précédents étaient erronés. La combustion du noyau d’Adhara s’emballe. C’est une question de minutes, peut-être même de secondes. 

 

Karen se précipita sur le haut-parleur. 

 

- Évacuation immédiate de la base. Tout le personnel est attendu en salle d’embarquement. 

 

- Capitaine…

 

- Dépêchez vous de nous rejoindre, Pirz.

 

- Capitaine, nous ne pourrons pas arriver à temps. 

 

- Hors de question de vous abandonner ici. 

 

- Vous n’avez pas le choix capitaine.

 

Pirz coupa la communication, laissant Karen sous le choc. L’urgence de la situation lui fit pourtant rapidement reprendre ses esprits. Elle jeta un ultime regard désolé à la planète azurée, mesurant les années d’évolution technologique qu’ils abandonnaient derrière eux, puis elle se décida à emboîter le pas à Rast et Usho. Tous étaient déjà massés dans la salle d’embarquement dans un silence angoissé. Karen verrouilla le sas, entra son code. Une vive lumière blanche les engloba.

Malgré les soins qu’on lui avait prodigués en son absence, Karen eut du mal à réintégrer son enveloppe corporelle vieillie de vingt-cinq ans. 

 

- Bon retour sur Terre, capitaine. 

 

Karen chassa d’un geste l’infirmière qui se précipitait vers elle. Elle se détacha de son fauteuil à projection mentale et sortit de la salle immaculée sans un regard pour le reste de son équipe. Elle ne voulait pas risquer de voir le cadavre de son second. 

Elle déambula au hasard des couloirs, passa devant d’autres salles, d’autres esprits envoyés en expédition. Des capitaines qui, eux, ne mettaient pas en danger leur équipe. Des capitaines qui, eux, n’échouaient pas. Des capitaines qui, eux, n’abandonnaient pas leur second. 

Karen finit par déboucher à l’air libre. Il faisait nuit. Elle essaya de repérer, parmi la multitude d’étoiles, la lueur bleutée d’Adhara. Là-haut, à 431 années-lumières, l’étoile avait explosé, volatilisant au passage leur nouvelle planète bleue. Détruisant dans son souffle l’esprit de Pirz, resté prisonnier de ce voyage insensé

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