Pour une baguette
Novembre 2017
NaNoWriMo arrangé : une nouvelle par jour pendant un mois
Va chercher le pain, va chercher le pain… Et si j’aime pas les tartines, moi ? Si je préfère les céréales le matin ? Mais non, Madame veut son pain frais, et bien sûr c’est moi qui suis de corvée boulangerie. Est-ce que c’est une heure pour aller acheter une baguette, sérieusement ? Il fait même pas jour ! Tant que le soleil n’est pas levé, il n’y a aucune raison valable, je dis bien aucune, pour sortir de son lit. Il fait froid, il fait moche, il fait sombre et j’ai envie de dormir. En plus, on est lundi, la boulangerie habituelle est fermée, et je ne m’en rends compte, bien évidemment, qu’une fois arrivé devant.
Bon, du coup, il est grand temps de se concentrer. Celle du coin de la rue est en vacances, celle du métro est franchement trop loin. Je peux éventuellement essayer celle de la gare. De toute façon, il faudra bien que je le trouve, ce pain. Je ne peux pas me permettre de rentrer bredouille. Pas avec ce qui m’attendrait à la maison ! Bon, allez, c’est parti pour la gare.
C’est bien le seul endroit déjà actif si tôt le matin. Les gens vont et viennent, pressés, sans un regard autour d’eux. Ils téléphonent, ils montent dans des taxis, ils se retrouvent, ils s’en vont. Beaucoup, beaucoup trop d’informations, de monde, de bruits. Je veux juste acheter mon pain et rentrer. Mais bien sûr, la boulangerie est face aux quais. Il va me falloir avancer, me mêler à cette foule agitée. Courage, moi aussi je peux faire semblant d’avoir un but ! Moi aussi je peux paraitre important.
Forcément, il y a du monde. Une longue queue de gens pressés d’acheter leurs croissants avant le départ du train. D’ailleurs, ils vont où, tous ? Cette femme en tailleur et sa mallette ? Cet homme avec son sac à dos bleu ? Et celui-ci, qui regarde sans cesse sa montre ? J’ai largement le temps de regarder le tableau d’affichage. J’essaye de deviner où ils partent, pourquoi ils montent dans ces trains, qu’est-ce qui les poussent si loin.
Soudain, l’évidence me frappe. Et moi, j’ai l’air d’aller où ? Quelle impression je donne au milieu de cette gare, avec mon blouson trop grand passé rapidement sur mon pyjama trop petit ? Vite, me trouver une destination. Juste au cas où on me demande, juste pour justifier ma présence. Oui oui, moi aussi j’ai le droit d’être là, moi aussi mon train part dans quelques minutes, moi aussi je suis pressé.
Le Mans, voie 6. C’est bien, ça, Le Mans. C’est pas très loin, ça justifie le fait que je n’ai pas de bagages. Allez, c’est validé, si on me pose la question je pars au Mans. Départ dans six minutes. J’espère que la vendeuse va se dépêcher, c’est que je risque de le louper ! Les minutes passent, la queue avance avec une lenteur désespérante. Départ dans deux minutes. Les voyageurs courent vers la voie 6. Je n'ai plus le temps d’attendre, mon alibi va partir sans moi ! Tant pis, louper un train pour une baguette, ça ne vaut pas le coup.
Je sors de la file, je me précipite moi aussi. Je travers la gare, me jette sur le quai, j’entre essoufflé dans la première voiture. Les portes se referment derrière moi. Ouf, juste à temps ! Il faut que j’envoie un message à Elodie pour lui raconter qu’avec son histoire de baguette, j’ai failli louper mon train.
C’est là que je réalise. Déjà la gare s’éloigne. Je ne voulais pas partir au Mans, moi. Je voulais juste acheter du pain. J’espère au moins que là-bas, je trouverai une boulangerie ouverte.