Quand sourire rime avec mourir
Avril 2008
Obscurité totale. Silence. Seule une silhouette arpente encore la rue déserte. Une seule silhouette, faisant des allers-retours devant la vitrine fermée de l'épicerie. L'horloge sonne. Rompt le silence nocturne. La silhouette s'arrête. Attend. Repart. Un aller. Un retour. Un aller... Deux lumières. Un grondement lointain puis de plus en plus proche. Une voiture déboule dans la rue. Éclaire la silhouette. La silhouette est celle d'un homme. Cheveux longs, vêtements noirs et amples. L'homme s'arrête face à la voiture. Un homme en descend. Capuche relevée, foulard rouge autour du bras. Les hommes s'approchent l'un de l'autre. Ils parlent à voix basse. Soudain, une sonnerie stridente. Les deux hommes bondissent dans la voiture. Elle démarre. Disparaît.
Je ne sais que trop bien la fin de cette histoire. Les deux membres de la MRO ouvriront les portes à toutes volées, trouveront le fautif, le captureront, l'emmèneront dans leur voiture pour l'exécuter dans un endroit connu d'eux-seuls. La MRO. La Milice pour le Respect de l'Ordre. Des assassins.
Voila le monde aujourd'hui. Deux hommes. Un sentiment. Une sonnerie. Une vie achevée.
Un jour peut-être j'imiterai cet individu, mort d'avoir trop espéré. Un jour, je commettrai moi aussi la faute ultime. Un jour... Pour l'instant, je ne peux pas. Mais, bientôt, quand j'en aurai le courage, je briserai enfin ce masque inexpressif et je rirai. A moins que je ne pleure? Je pleurerai sur ma vie qui s'achève, sur la bêtise humaine. Je pleurerai sur ces rêves qui s'effilochent, sur ces espoirs qui diminuent, sur cette humanité qui disparait. A moins que je ne ris? Je rirai de ma propre bêtise et aussi de celle des hommes. Oui, avant de disparaitre à tout jamais des registres de la Terre, je jetterai un rire à la face du monde. Un rire. Juste un. Pour leur faire comprendre. Pour leur ouvrir les yeux. Alors, la sonnerie retentira. Les hommes de la MRO viendront. Ils m'arrêteront. Ils m'emmèneront dans leur voiture. Plus personne sur Terre n'entendra parler de moi, si ce n'est dans les journaux du lendemain. Je serai un de ces "morts pour l'exemple" dont les noms fleurissent quotidiennement dans les pages de journaux.
Que les gens sont bêtes! Notre cher gouvernement nous fournit chaque jour des dizaines d'exemples et nous ne comprenons pas! Nous ne pouvons pas comprendre. Personne ne peut plus comprendre le monde malade dans lequel nous vivons. Le gouvernement a banni nos libertés, jusqu'à réprimer par la mort la moindre expression d'un quelconque sentiment. Mais, un être humain pleure, rit, a peur, est en colère. Vit.
Les heures passent. Je ne sais toujours pas comment agir. Ce soir, je serai mort. Je me répète inlassablement ces cinq mots. Tellement qu'ils en perdent leur sens. Je les tourne, les analyse dans mon esprit. Je les adopte et les repousse à la fois. Les accepte et les renie. Cette obligation, c'est moi qui me la suis imposée. Cette échéance, c'est moi qui l'ai décidée. J'ai peur. Peur de la mort, de cette inconnue qui va m'emmener vers quelque chose de neuf. Ou vers le néant.
Mais quoi qui m'attende après, ce sera toujours mieux que ce patchwork de moments vides, d'instants inutiles, de minutes creuses, d'heures insipides, d'années incolores. Oui, je veux mourir, et je veux qu'on le sache. Je n'ai plus peur.
Huit heures du matin. La ville s'éveille. Les habitants sortent lentement de leur sommeil. Je m'approche de la fenêtre l'ouvre en grand, et éclate de rire. Je ris pour la première fois et je suis heureux que ce soit par ce moyen si doux, si agréable et si violent à la fois que je vais à la mort.
Aussitôt, une sirène retentit. Deux hommes. Cheveux longs, vêtements noirs et amples. Capuche relevée et foulard rouge autour du bras. La MRO. Portes ouverts à la volée. Voiture étroite et sale. Paysages qui défilent. Arrêt brusque. Ordres d'une voix sèche. Descendre de la voiture.
Un dernier rire. Pour partir en beauté. Canon d'une arme pointée sur moi. Doigt enfonçant lentement la gâchette.
Détonation.